Ils ont choisi de se déplacer au domicile de leurs clients pour plus de flexibilité et de salaire. Le marché s’organise pour les accompagner. Le point sur cette tendance parfois mal vue par la profession.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Le secteur de la coiffure à domicile s’est considérablement développé depuis le début du millénaire. Le nombre d’activité (22153) a été multiplié par deux entre 2000 et 2007, avant de doubler à nouveau entre 2008 et 2018. Ce secteur représente, aujourd’hui, plus du quart (25,6 %) des établissements enregistrés dans la profession, selon l’Union nationale des entreprises de coiffure (Unec).
Ces indépendants, qui acceptent de se déplacer chez leurs clients, ont des profils très variés. « Certains travaillent à domicile depuis toujours, mais beaucoup ont choisi de se lancer après avoir passé toute leur vie en salon, constate Caroline Gentien, la cofondatrice de Simone, une application de services de beauté à domicile. Ils ont réalisé un jour qu’ils en avaient assez et qu’ils souhaitaient se mettre à leur compte. D’autres, enfin, vont chez des clients dans leurs périodes creuses lorsque les studios ne font pas appel à eux. » La plupart des coiffeurs à domicile ont ainsi pris l’habitude de « jongler » entre leurs différentes activités. « Beaucoup travaillent deux jours chez des clients récurrents comme des maisons de retraite avant d’aller les deux jours suivants chez des personnes avec qui nous les avons mis en relation, pour finir leur semaine dans des salons lorsque la demande est forte en particulier le week-end », détaille Maxime Graffin, responsable des parte- nariats de Wecasa, un spécialiste des soins à domicile. Savoir gérer son calendrier est un des impératifs les plus importants pour les professionnels qui souhaitent se mettre à leur compte. Ils doivent aussi se préparer à « perdre » une bonne partie de leur journée dans les transports.
« Je passe plus de temps dans ma voiture que chez mes clients, reconnaît, Carrie Hennous, qui a travaillé chez Dessange pendant cinq ans avant de posséder son propre salon durant une décennie, pour finalement devenir coiffeuse à domicile l’an dernier. La route est certainement l’aspect le plus stressant de mon travail, mais le yoga m’aide à rester zen. Je suis également souvent derrière mon volant, car je travaille vite et cela me permet de faire beaucoup de prestations. J’en réalise ainsi en moyenne une dizaine par jour, mais mon record est de quinze… » Enchaîner un nombre aussi important de coupes, de colorations et de balayages implique des horaires à rallonge. « Je travaille tous les jours, de 7 heures à 22 heures, mais je bosse à mon rythme et j’arrive à souffler lorsque je le souhaite, affirme cette mère de deux enfants qui fait essentiellement des coiffures, même si certaines clientes lui demandent des balayages ou des colorations. Dans mon salon, je bossais une à deux heures de moins par jour, mais je gagnais 50 % de moins. Aujourd’hui, quand je prends le volant, je sais combien cela va me rapporter… »
DES STATUTS CONTRAIGNANTS
Comme l’immense majorité des coiffeurs à domicile, cette Parisienne a opté pour le statut d’autoentrepreneur. D’autres préfèrent créer une société par actions simplifiée unipersonnelle (Sasu) afin de défrayer leurs frais de déplacement, et les coûts liés à l’achat de matériels et de produits. Les derniers passent par le courtage afin de pouvoir cotiser et obtenir des fiches de paie, qui leur permettront notamment d’avoir de meilleurs congés de maternité pour celles qui prévoient d’avoir des enfants.
La plupart de ces experts ont une assez longue expérience derrière eux. Chez Wecasa, la moyenne d’âge des coiffeurs à domicile varie entre 30 et 40 ans. La précarité est toutefois une donne que les entrepreneurs en herbe doivent prendre en compte avant de lancer leur activité même si la demande est forte. « Beaucoup de gens ne veulent plus passer une partie de leur samedi dans un salon et préfèrent faire venir un professionnel à leur domicile, quand cela les arrange, souligne Caroline Gentien. Quand on offre des opportunités complémentaires aux clients pour gérer leur routine beauté, on leur donne la possibilité de dépenser plus… »
Ce secteur commence, en outre, à mieux s’organiser. L’apparition de plates-formes comme Simone et Wecasa permet de mettre en relation les particuliers avec les spécialistes qu’ils recherchent. Ces sites prennent entre 15 % et 20 % de commissions sur les tarifs des prestations, mais ils n’exigent aucune exclusivité des coiffeurs avec qui ils collaborent. Les prix des soins peuvent varier de 39 s pour un brushing à 180 s pour une coupe et balayage chez Simone, alors qu’une simple coupe chez Wecasa ne dépasse pas 25 s. Pour leurs produits, les indépendants doivent se débrouiller seuls. La plupart passent par des grossistes, alors que d’autres nouent des partenariats avec une ou plusieurs marques. « À terme, nous leur proposerons des produits en marque blanche, même si, aujourd’hui, notre priorité est de lancer un centre de formation, explique Maxime Graffin. Le premier ouvrira cette année à Paris, mais nous comptons en inaugurer aussi en province. » Cette initiative montre à quel point ce secteur commence à s’organiser.
« Pour être rentable, un coiffeur doit faire beaucoup de prestations, conclut Maxime Graffin. Esthéticiens et masseurs ont davantage de revenus, car ils ont plus de clients récurrents et leur panier moyen est plus élevé. » Cette différence explique peut-être pourquoi son site a du mal à trouver des coiffeurs à domicile dans certaines villes comme Lyon (69). Les professionnels qui ont sauté le pas ne semblent toutefois pas regretter leur décision. « Même s’ils doivent beaucoup travailler et que leur quotidien n’est pas toujours facile, les coiffeurs à domicile aiment avoir la liberté de choisir leurs clients, leurs horaires et missions », énumère la cofondatrice de Simone. Carrie Hennous ne dit rien d’autre: « Je ne regrette pas du tout de m’être mise à mon compte, car je profite de mon indépendance et je gagne nettement mieux ma vie. »
Frédéric Therin